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Réponse au portrait d’Isabelle de Red

Suite à la publication de notre article « Isabelle de Red – le sol de la liberté », un lecteur de notre blog, membre de l’Association Française pour l’Etude des Sols1, a souhaité apporter quelques précisions sur la notion d’agriculture intensive. On qualifie généralement d’intensive, les monocultures  industrielles basées sur l’utilisation massive de pesticides et d’engrais de synthèse. C’est à ce type d’agriculture qu’Isabelle de Red faisait référence au long de notre interview. Pourtant l’on oublie souvent que de nombreux autres systèmes agricoles, souvent anciens, sont eux aussi intensifs. Philippe Eveillard nous rappelle que l’intensification ne conduit pas nécessairement à une dégradation des sols, mais au contraire peut conduire à une augmentation de leur fertilité.

Voici son message :

 « Je lis sur votre site qui nous permet de suivre votre tour du monde plutôt sympathique :

 « Les sols nourrissent nos sociétés, il est donc essentiel de les protéger. […] Pour elle, l’agriculture intensive ne peut mener sur le long terme qu’à des sols stériles et morts. »

 Je partage avec tous les membres de ce forum la première conviction mais je crois que la deuxième phrase mérite plus d’analyse et ne représente pas la réalité.

Ce n’est pas l’industrie qui a inventé l’agriculture intensive. On peut qualifier d’intensifs déjà les nombreux systèmes paysans dans le monde où se succèdent souvent plusieurs cultures par an avec des productions élevées grâce à l’irrigation notamment. Ces systèmes existent depuis plusieurs milliers d’années (Vallée du Nil, Sud de la Chine, Japon, certaines régions en Europe…). Quand on a apporté les aménagements qu’il fallait (terrasses, irrigation, drainage), on a pu produire davantage et nourrir une population plus importante. Plus on cultive le sol, plus on est susceptible d’améliorer sa fertilité contrairement à une idée reçue qui est qu’on va inéluctablement l’épuiser.

Labour des champs et capture d'oiseaux en Egypte ancienne

Labour des champs et capture d’oiseaux en Egypte ancienne
Scène agricole de la chambre funéraire d’Itet, IVème dynastie (2575 – 2465 avant J. C.)

Des productions plus importantes, c’est aussi plus de racines, de résidus qu’on incorpore au sol. Cet apport est indispensable à son activité biologique. L’entretien de la fertilité de ces systèmes dépend du recyclage le plus efficace possible des déjections animales et humaines et souvent du transfert de fertilité réalisé depuis des surfaces de parcours vers les surfaces cultivées par le biais des animaux et du fumier collecté sur des centaines d’années.

Les sols ne sont pas morts, c’est Dominique Arrouays qui l’a annoncé à la journée de présentation du 1er état des sols français en novembre dernier (INfOsol, INRA)2. J’invite à relire cette synthèse remarquable sur tous les aspects de la qualité des sols.

Je ne suis pas pour l’intensification sur n’importe quels sols. Nous avons besoin des forêts, des prairies, des zones humides et d’autres espaces de biodiversité. C’est pourquoi il nous faut cultiver le plus raisonnablement possible les espaces cultivées dont nous disposons sur la planète. Produire plus et mieux, c’est possible sur des sols fertiles et un climat favorable comme le nôtre en Europe tempérée, les agriculteurs nous le prouvent et continuent d’améliorer leurs pratiques (moindre usage d’engrais utilisés plus efficacement, moins de travail du sol et meilleure utilisation des cultures intermédiaires (engrais vert)….)

Bonne chance pour votre voyage. »

Philippe EVEILLARD
Responsable Agriculture et environnement
UNIFA, Union des Industries de la Fertilisation

1 http://www.afes.fr/

2 cf. Gis Sol. 2011. L’état des sols de France. Groupement d’intérêt scientifique sur les sols, 188 p.
Plus d’information sur l’état des sols en France, rapports et synthèse à télécharger sur le site du Groupement d’Intérêt Scientifique Sol : http://www.gissol.fr/RESF/