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Lukas Wick, un sol entre art et science

C’est dans un recoin un peu éloigné des laboratoires du bâtiment 4.1 du Helmholtz Zentrum vor Umweltforschung UFZ* de Leipzig (D) que nous avons rendez-vous avec le responsable du groupe Biodisponibilité. Nous rencontrons Lukas Wick dans les escaliers, où un étudiant l’a alpagué pour discuter avec lui de son projet de recherche. Une fois son devoir accompli, Lukas nous guide jusqu’à son bureau, où il répondra à nos questions.

Nous rencontrons un citadin assoiffé de connaissances. A la fin du gymnase, animé par la volonté de comprendre le fonctionnement du monde, il se lance dans des études de chimie ; mais au sortir de ses études, il réalise qu’il ne trouvera pas la réponse à ses questions dans cette science. Il se tourne alors vers les sciences environnementales et applique ses connaissances à l’étude du sort de certains composés chimiques dans un lac. Il découvre alors l’importance d’un facteur auquel ses études de chimie ne l’avaient pas préparé : les microbes. Bien qu’encore loin des sols, cette première expérience l’entraîne vers un deuxième post-doc, toujours en science environnementale, mais cette fois en microbiologie du sol.

Lukas Wick

Toujours souriant, cela a été un plaisir d’interviewer Lukas Wick.

C’est en tant que chimiste, en passe de devenir microbiologiste, qu’il intègre une équipe d’agronomes et de pédologues. Ceux-ci, dont la formation et l’expérience ont été centrées sur le sol, ont une vision bien différente de cet objet d’étude. Ils regardent le sol dans son entier et le considèrent souvent comme une boîte noire : l’important est ce qui y rentre et ce qui en sort.

présentation en qques mots de la biodisponibilité

La biodisponibilité
Une substance chimique est dite biodisponible lorsqu’elle est librement accessible à une cellule, ou à un organisme.
Dans le sol, de nombreux éléments nutritifs sont présents en quantité, mais sont inaccessibles aux organismes qui les emploient. Par exemple le phosphore (indispensable pour le production d’ADN) est surtout présent sous forme de roche insoluble. Certains polluants sont aussi inaccessibles grâce à leur capacité à se lier à différents éléments du sol (polysaccharides, argiles, minéraux, lignine, etc.). La quantité biodisponible d’une substance, utile ou à éliminer, est donc la portion à laquelle les organismes vivants un ont accès direct, par opposition à la quantité totale

Lukas, de son côté, à cette période de sa carrière, n’est que peu intéressé par le sol en tant que tel. Si la notion de complexité lui est déjà familière, de son point de vu de chimiste, « le sol c’était surtout de l’eau avec une forte concentration de particules », nous dit-il sous forme de boutade. Ce qui le passionne alors, ce sont les réactions de biotransformation qui se déroulent au sein du sol. Sous cet angle là, le sol est donc vu avant tout comme un facteur influençant, d’une part, la disponibilité des différents réactifs chimiques et, d’autre part, les microorganismes les employant.

Si aujourd’hui il reste fidèle à la façon de travailler des chimistes, allant du plus simple au plus complexe, le contact avec des pédologues expérimentés combiné à une visite au Palais de Rumine à Lausanne (CH)** auront eu une influence déterminante sur sa vision du sol. Lors de cette visite au musée, il découvre une exposition temporaire qui présente le travail d’Herman de Vries, un artiste hollandais qui travaille avec de la terre comme matériau***. Cet artiste profite de la diversité des sols en terme de couleur pour créer ses œuvres. La découverte de ces installations lui font réaliser que le sol est bien plus que la somme de ses ingrédients. Cette prise de conscience est renforcée par les contacts quotidiens avec ses collègues, explorateurs confirmés du sol.

A partir de ce moment, le sol va s’imposer à lui comme un objet riche et complexe, qui lie en un seul objet d’étude l’agronomie, la physique, la biologie, l’écologie et la philosophie. Cet objet qui soutient nos pas tout en étant plus complexe que la jungle, se transforme ainsi en une mère pour la vie sous toutes ses formes. Et à l’instar de toutes les mères, sa beauté mérite d’être le centre d’attention non seulement des chercheurs mais aussi des artistes.

Cette prise de conscience le pousse à continuer sa carrière dans le monde des sciences du sol, où il travaille sur les notions de transformation et de biodisponibilité des produits chimiques, et tout particulièrement celles des polluants. Il s’agit de comprendre comment les microbes (bactéries et champignons) interagissent avec les polluants que l’activité humaine a légués au sol. Ses recherches ont pour objectif de rendre le travail des microbes le plus facile possible, en leur favorisant l’accès à tous les éléments dont ils ont besoin (eau, oxygène, « vitamines », substances à détruire…) pour nettoyer les sols.

En partant d’une hypothèse, il essaye de remonter le fil ténu qui devrait le conduire vers la complexité réelle du sol. Son travail consiste ainsi non seulement a être au courant des dernières découvertes scientifiques concernant le sol, mais aussi et surtout à imaginer tout ce qui peut ce passer dans un sol. Et si, au jour le jour, il n’a l’occasion de manipuler réellement le sol que lors de ses loisirs, il passe un majeur partie de son temps à tourner et retourner dans son esprit un sol conceptuel qu’il tente de faire résonner avec le sol du paysan, de l’artiste, du philosophe et du chimiste.

échantillons de sol congelé

Entre l’hypothèse et la complexité réelle du sol : quelques grammes de sol congelé dans un tube.

Il lie cette volonté de mieux comprendre le sol à la nécessité de protéger les sols, car la sauvegarde des sols comme la récupération des sols endommagés ne pourra se faire sans une excellente compréhension du fonctionnement et de la complexité de ceux-ci. Et si la vision du sol en tant qu’écosystème à part entière a du mal à percer auprès du grand public, il a pu noter une nette évolution de la perception du sol par les scientifiques qui donnent une place toujours plus importante à la partie vivante du sol. Cette volonté d’appréhender le sol dans toute sa complexité, et non comme une matrice physico-chimique pour l’agriculture, sera-elle le premier pas vers une meilleure protection des sols ? C’est à espérer car comme le rappelle Lukas : « Si les sols seront très probablement capables de survivre à l’humanité, l’inverse est, sans aucun doute, impossible ».

                                                        

*Helmholtz Centre de recherche environnementale – UFZ

**Bâtiment historique lausannois abritant entre autres la bibliothèque cantonale, l’espace Arlaud, et le musée de géologie

***Pour découvrir le travail d’Herman de Vries sur la terre : http://www.hermandevries.org/work_from-earth.php